Intervention de Jean-Michel Bérégovoy sur le budget 2015 de la Ville de Rouen

Conseil Municipal du 17 décembre 2014

 

Monsieur le Maire, chers collègues,

 

Le vote du budget est certainement le moment le plus important de l’année pour les élus d’une ville et à travers eux, pour les habitants.

Un moment important parce que nos priorités s’inscrivent dans le budget, priorités qui devront se décliner tout au long du mandat.

 

Aujourd’hui, je sais que ce débat revêt une importance et requiert une attention toutes particulières, pas seulement parce qu’il s’agit du premier budget de cette mandature mais parce qu’il s’est construit dans un contexte très difficile et, que deux des trois groupes de la majorité ont exprimé leur volonté de s’abstenir au moment solennel du vote. J’entends déjà celles et ceux qui, dans cette salle, jaseront sur les divisions de la majorité municipale et les autres qui appelleront à l’unité face à la situation de crise que nous vivons dans notre pays et dont les effets touchent bien évidemment notre région, notre département et finalement notre ville.

 

En ce qui concerne les élus du groupe « décidons Rouen », ce sont les attentes de nos concitoyens qui ont été déterminantes dans notre choix. Lors de la dernière campagne l’équipe que j’avais l’honneur de mener avait élaboré un projet qui tenait compte de ces attentes. Ce sont alors des milliers de personnes que nous avons rencontrés lors de dizaines de réunions publiques et dans les très nombreux « porte à porte ». Conscients des difficultés budgétaires de la ville de Rouen, nous avions alors proposé un projet qui se voulait raisonnable en termes d’impact sur nos finances publiques.

 

C’est dans ce contexte que nous sommes rentrés dans la construction du budget 2015. Nous sommes ce soir à la fin d’une séquence ouverte il y a plusieurs mois par Yvon Robert au cours de laquelle il a affirmé sa volonté de faire de cette exercice un exemple de transparence et de co-construction. Chacun a pu alors s’exprimer, proposer et il est temps maintenant de prendre nos responsabilités.

 

Il fut un temps où la gauche voulait changer la vie. Plus récemment, François Hollande faisait du changement la colonne vertébrale de son projet. Qu’en reste-il aujourd’hui ? Rigueur et austérité.

 

Dans sa quête de baisse des déficits publics, le gouvernement a fait le choix incroyable de cibler les collectivités locales en réduisant de façon drastique ses dotations. Au total, ce sont 11 milliards qui ne seront pas distribués aux collectivités locales. En ce qui nous concerne, ce sont près de 22 millions d’euros qui seront amputés aux finances de la ville d’ici 2017 avec des conséquences importantes à la fois sur nos possibilités de fonctionnement et sur nos capacités d’investissement. Comment pouvons-nous accepter cette situation sans ne rien dire ? Dans toute la France, des maires dénoncent l’étranglement financier dans lequel se retrouvent leurs communes. A l’Île Saint Denis, les élus du conseil municipal se sont déshabillés en public pour se plaindre de cette situation. Martine Aubry, dont pourtant bons nombres de ses anciens soutiens siègent au sein de notre Conseil a été claire, lors de sa conférence de presse de rentrée, le 3 octobre: «Si le gouvernement ne revient pas sur la baisse des dotations (aux collectivités territoriales), nous serons obligés de prendre des décisions difficiles et aberrantes

 

L’année dernière, lors du débat budgétaire, je prévenais que nous ne pourrions supporter une nouvelle baisse de ces dotations dans les années à venir. En 2014, il s’agissait d’ 1,3 million d’euros qui était retiré à Rouen, ce sont plus de 3 millions qui manqueront au budget 2015. Cette politique d’austérité dirigée vers les collectivités locales va avoir de terribles répercussions sur l’emploi. En effet, chaque euro inscrit dans le projet de budget, en dehors bien évidemment du remboursement de notre dette, sert à créer de l’activité. Il s’agit notamment de la qualité des services que l’on rend à nos concitoyens mais aussi des emplois que l’on crée lorsque nous investissons sur notre territoire. A ce propos des projets tels que la restructuration de la place des emmurées ou de la construction d’une nouvelle école rue des murs Saint Yon ont fait et continuent à faire travailler des dizaines de personnes sur ces chantiers. Ce sont autant de contrats avec des entreprises qui ont besoin de la commande publique pour maintenir leur activité, pour créer de la richesse et des emplois, pour innover et contribuer au rayonnement de notre commune. Les collectivités qui représentent seulement 10% de la dette publique, réalisent 70% de l’investissement public. Je me permets de rappeler ce que je disais lors du débat d’orientation budgétaire au mois de novembre dernier dans cette même salle concernant le léger rebond de 0,3% du Produit Intérieur Brut au 3ème trimestre grâce essentiellement à la commande public et tout particulièrement celle des collectivités locales.

 

Si nous n’arrivons pas à convaincre le gouvernement de changer de cap notamment concernant les collectivités locales, nous verrons rapidement des projets s’arrêter sur notre ville et dans notre agglomération. De la même façon, nous constaterons un recul de nos services publics qui sont pourtant au cœur de notre contrat social entre tous les habitants de notre ville. Nous ne pouvons pas nous contraindre à cette situation. Elle est injuste socialement et inefficace économiquement. De plus, elle impacte très négativement nos capacités à investir massivement dans des politiques novatrices et soutenables au moment même où notre planète vit sa plus grande crise écologique.

C’est pour cela que nous parlons de double peine pour notre ville et pour ses habitants. En faisant baisser nos dotations pour contribuer à la réduction de son déficit, l’Etat va également nous forcer à augmenter notre propre dette si nous voulons continuer à agir même modestement.

 

Chacun peut prendre la mesure de cette contradiction tout en comprenant l’aspect irrationnel de cette politique qui  nous oblige à diminuer nos interventions au moment même où nous devrions au contraire être plus solidaires avec l’ensemble de nos concitoyens tout en étant innovants et volontaires pour transformer notre ville et développer des activités nouvelles.

 

Nos bâtiments publics sont globalement vétustes, notre voierie n’est guère en meilleur état, nos associations connaissent des difficultés croissantes dans un environnement social qui se dégrade jour après jour. Tout cela est dû à des décennies d’immobilisme et de manque de volonté politique ou de choix catastrophiques. Je crois discerner dans les propos de l’opposition de l’ironie face à la situation que nous vivons. Je me permets de leur rappeler quelques éléments que je laisse à leur réflexion.

Tout d’abord, la baisse des dotations de l’Etat a commencé sous le gouvernement Fillon alors même que les décisions  pour le moins hasardeuses du nouveau président de l’UMP alors Président de la République continuaient à creuser les déficits publics. Dans le même temps à Rouen, la baisse de 10% des impôts et le contrat absurde sous la forme d’un Partenariat Public Privé sur l’éclairage public vont impacter durablement nos difficultés financières. Et que dire des emprunts toxiques contractés dans des conditions absolument ubuesques. Si nous n’oublions pas que c’est Pierre Albertini qui s’est engagé dans cette voie, nous n’acceptons toujours pas la décision qui a été prise par le groupe socialiste de l’époque soutenu par l’ensemble de l’opposition, qui a vu notre collectivité verser 5 millions d’euros à la Royal Bank of Scotland dans des conditions particulièrement opaques.

 

A ce propos, nous attendons encore que le gouvernement mette en place un dispositif permettant aux collectivités qui ont été spoliées de pouvoir refuser de payer ces dettes illégitimes comme l’avait promis de candidat François Hollande dans son programme présidentiel.

 

Je reviens sur les attentes des Rouennaises et des Rouennais, nous avons lors des discussions budgétaires contribué à donner du sens à notre budget. Nous avons plaidé pour faire en sorte que la proximité, la jeunesse, l’éducation, les économies d’énergie, la solidarité, l’ESS et l’environnement soient les priorités du mandat. Cependant, cela ne sera efficient que si nous bénéficions des moyens nécessaires pour agir ; sinon cela ne sera que des incantations et nous verrons progresser encore les incompréhensions dans la société et s’élargir le fossé entre les institutions et la société réelle. Nous assisterons alors à la progression de l’intolérance et du repli sur soi faute de ne pas avoir voulu prendre nos responsabilités. Face à cela, avec les élus du Front de Gauche, nous avons décidé de ne pas nous résigner et de rompre cette situation, nous refusons la fatalité de l’austérité.

 

Aujourd’hui, comment assumer notre rôle de service public de proximité dans de bonnes conditions ? Raisonnablement, il faut reconnaître que sera difficile voire impossible. Une Piscine fermée dans les quartiers sensibles sans aucune solution pour les utilisateurs, une mairie annexe fermée dans un quartier en pleine expansion. Comment allons-nous pouvoir rénover nos écoles, nos gymnases et nos crèches si nous n’avons pas les moyens nécessaires ?

 

Oui je l’ai déjà dit, l’Etat retire 11 milliard aux collectivités et réduit à 5 milliards d’euros le budget alloué aux quartiers prioritaires. La ville aurait besoin de plus de 230 millions d’euros pour renforcer et amplifier son action dans les quartiers sensibles, nous ne bonifierons au mieux de 25 à 30 millions d’euros ; ce qui sera très insuffisant pour consolider le travail déjà réalisé mais qui demeure très fragile. Nos partenaires institutionnels que sont la Région et la Métropole vont bien évidemment s’engager à nos côtés pour soutenir notre action publique. Cependant, cela reste relativement flou et là aussi insuffisant au regard de nos besoins réels.

Nous ne pouvons voter ce budget malgré toutes les propositions que nous avons formulées et tous les efforts que nous avons réalisés durant ces longs mois de débat. Je le dis ici, et Yvon Robert le sais bien, nous souhaitons que notre majorité réussisse ce mandat. Un climat de confiance restauré nous a permis de nous unir au second tour de l’élection municipale mais cela ne doit pas seulement reposer sur la méthode et le respect, cela suppose que nous mettions en perspective un programme de qualité reposant sur le projet que nous avons construit ensemble. Or notre commune va être fragilisée par cette cure d’austérité imposée aux collectivités locales.

 

Quel paradoxe, le gouvernement octroie 40 milliards aux entreprises sans aucune contrepartie sans que cela produise le moindre frémissement de l’investissement ou de l’emploi et diminue dans le même temps ses dotations aux collectivités avec comme effet immédiat la réduction des effectifs, ce qui aura un impact certain sur la qualité de nos services publics mais aussi sur l’emploi privé que nous créons en investissant sur notre territoire. Une étude récente commandée par l’Association des Maires de France montre que la baisse des dotations d’ici 2017 va se traduire par une réduction de l’investissement des communes de plus de 30% et que 2/3 des communes vont se retrouver dans des situations budgétaires dramatiques. Faut-il rappeler que les collectivités locales sont le principal moteur de l’investissement public avec 50 milliards d’investissements sur un budget de 230 milliards ?

 

A Rouen, les conséquences seront bien réelles : ce sont plusieurs dizaines d’emplois temporaires qui seront supprimés et des départs en retraite qui ne seront pas remplacés. Il y a quelques mois, nous avons fait le choix de la proximité en rendant plus efficace nos interventions sur l’espace public. Pensons-nous que nous pourrons apporter une réponse adéquate aux attentes des habitants avec des moyens en baisse. Qu’allons-nous dire à toutes celles et tous ceux qui ne verront pas leur contrat avec la ville prolongé. Un budget ce ne sont pas seulement des colonnes de chiffres, ce sont des politiques que nous menons, de l’entretien et de l’investissement, mais aussi des hommes et des femmes qui jour après jour représentent et défendent le service public.

Cette baisse devrait perdurer ; quelle sera notre situation en 2016 et l’année suivante ? Oui, nous sommes très inquiets pour l’avenir de notre ville, pour l’avenir de nos salariés, pour l’avenir de nos concitoyens.

Devant quelle alternative sommes-nous ? Augmenter notre la fiscalité locale ou de réduire les services rendus aux populations ainsi que nos investissements. Voici donc le changement promis il y a 2 ans et demi.

Hier, j’étais dans un comité d’ainés dans le secteur Est de notre ville. Un homme que je connais bien m’a interpellé et m’a demandé d’être efficace pour notre ville. Je lui ai dit que je l’étais en ne votant pas ce budget, non pas dans un esprit de division ou par choix politicien mais pour nous obliger à réfléchir collectivement à notre avenir. Oui, nous pouvons ensemble demander un changement de cap au gouvernement afin qu’il mette en place la réforme fiscale tant attendue qui nous permettrait de retrouver des marges de manœuvre. Les collectivités peuvent être innovantes, créatrices d’emplois, capables de réduire les fractures sociales et de répondre efficacement aux défis du 21ème siècle ;  tout particulièrement à celui du réchauffement climatique.

 

Oui, le groupe « Décidons Rouen » veut être efficace pour notre ville. Oui, nous voulons transformer Rouen, oui nous voulons une ville plus solidaire et plus attrayante; une ville qui rayonne au sein de notre métropole et au sein de notre future grande région. C’est pour cela, et conscients de notre responsabilité que nous nous abstiendrons sur ce premier budget du mandat en espérant que par cet acte, nous puissions être entendus par nos partenaires et au-delà de cette salle par celles et ceux qui nous gouvernent.

 

Je conclurai mon intervention en citant Antoine de Saint-Exupéry : « pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible… » et d’ajouter :« La vérité de demain se nourrit de l’erreur d’hier. »

On dit des élu-es Décidons Rouen et des élus communistes qu’ils ont décidé de rentrer en résistance.

Méditons ces réflexions d’un vrai résistant ; elles nous interpellent à travers les époques. Elles contribuent à construire notre propre pensée.

 

Oui, chers collègues allons convaincre ensemble qu’une autre politique est possible, une politique qui nous permettra tout simplement d’appliquer dans les 6 années qui viennent notre programme, celui qui a reçu le soutien des Rouennaises et des Rouennais en avril dernier.

 

Je vous remercie.

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