« Ce type d’accident ne devrait pas arriver »

Adjointe en charge des commissions de sécurité

Près de 10 mois après le drame du Cuba Libre Fatima El Khili, adjointe de Rouen en charge de la commission de sécurité, revient sur la situation rouennaise des bars et restaurants.

# Quelle est la réglementation concernant ces établissements ?

Les établissements recevant du public (ERP) sont des bâtiments publics ou privés dans lesquels des personnes extérieures sont admises. Les ERP sont classés en catégories qui définissent les exigences réglementaires applicables (type d’autorisation de travaux ou règles de sécurité par exemple) en fonction des risques. Ils sont également classés par type (symbolisé par une lettre), en fonction de leur activité ou la nature de leur exploitation.

 

Pour les établissements de catégorie 5 (dont relève la plupart des bars et restaurants de Rouen) la délivrance d’un permis de construire ou la réalisation de travaux ne sont pas obligatoirement précédées de la consultation de la commission de sécurité. L’ouverture peut être réalisée sans demande d’autorisation auprès du maire sur le volet sécurité incendie.

Mais le propriétaire et l’exploitant sont tenus, tant au moment de la construction qu’au cours de l’exploitation, de respecter les mesures de prévention et de sauvegarde propres à assurer la sécurité des personnes.

 

# Quel contrôle exerce la Ville sur ce type d’exploitation de catégorie 5 ?

Il n’y a pas d’obligation de visite périodique de la commission de sécurité. Cependant, en application de l’article R.123-14 du même code, le maire peut faire procéder à des visites de contrôles à titre exceptionnel à la suite de demandes motivées par des présomptions et des signalements.

# Quelle est la situation actuellement à Rouen ?

Rouen compte 103 bars de nuit et plus de 150 restaurants. La plupart de ces établissements se déclarent en ERP 5, ce qui ne rend pas obligatoires les contrôles. Les discothèques sont classifiées en catégorie 4 et donc soumises aux contrôles obligatoires.

 

# Qu’est ce qui a changé depuis le drame du Cuba Libre ?

Depuis le drame du Cuba Libre, la Ville amplifie les visites inopinées. Mais cela prend énormément de temps de tout contrôler. Les services sont déjà très sollicités par les contrôles obligatoires des autres catégories ainsi que par les évènementiels ponctuels (Foire St Romain, concerts, festivals etc.). Certains établissements, du fait de la réalité de leur activité, ont été reclassés dans des catégories supérieures, plus contraignantes en terme de sécurité. En effet certains se sont déclarés en ERP catégorie 5 – la plus souple – ou n’ont pas déclaré l’activité réelle de leur établissement. Ces visites permettent de clarifier tout cela.

 

# Quel bilan tirez-vous de ces visites ?

La commission communale de sécurité a relevé dans 22 ERP classés en 5e catégorie, des manquements à la réglementation. Parmi eux 14 ont été déclarés dangereux et se sont vus par conséquent notifier un arrêté de fermeture totale ou partielle de leurs caves et/ou étages. D’autres n’ont reçu qu’un avis défavorable, leur permettant de continuer leur activité sous réserve de réaliser les prescriptions de sécurité émises par la commission. Nous nous sommes retrouvés face à tout type de comportements ; globalement les gérants sont conscients des impératifs de sécurité et se montrent de bonne volonté. 5 établissements ont procédé aux aménagements demandés, accompagnés par les services de la Ville, et ont pu rouvrir en totalité. Mais j’ai également été effarée par le manque de professionnalisme de certains ; il nous arrive de trouver des issues de secours cadenasées !! Cela est inadmissible.

 

# Que se passe-t-il pour les établissements qui ne répondent pas à toutes les exigences de sécurité ?

Il est rare qu’un établissement réponde à toutes les exigences de sécurité. La commission statue selon la gravité ou non des manquements aux consignes de sécurité, et peut émettre plusieurs types d’avis. Ceux qui ne présentent pas un danger immédiat se voient attribuer un simple avis défavorable avec une liste de préconisation. Les plus dangereux font l’objet d’un arrêté de fermeture totale ou seulement partielle (cave etc) qui nécessairement prend effet immédiatement. Une liste d’aménagements nécessaires pour réenvisager la réouverture, leur est communiquée. Nous invitons les exploitants à nous informer de tout projet de travaux avant réalisation, afin que nous puissions les orienter pour que cela corresponde à la réglementation.

# La Ville n’est-elle pas trop dure avec les exploitants ? Il y a-t-il un dialogue avec la profession ?

Je sais que certains se plaignent de la situation et accusent la Ville de vouloir pénaliser leur activité. Pourtant les faits sont là ; ceux qui sont aux normes n’ont eu aucun soucis et ceux qui se sont mis aux normes après fermeture, ont pu rouvrir.

Certains même nous reprochent les contrôles inopinés… et en même temps de ne pas en avoir fait au Cuba Libre avant le drame. Mais quand je trouve encore des issues de secours cadenassées lors des visites inopinées, je me dis qu’elles ne sont pas inutiles et qu’elles permettront peut-être d’éviter un nouveau drame.

Je rappelle qu’en vertu de l’article R. 123-3 du code de la construction et de l’habitation, le propriétaire et l’exploitant sont tenus, tant au moment de la construction qu’au cours de l’exploitation, de respecter les mesures de prévention et de sauvegarde propres à assurer la sécurité des personnes. Il relève de la responsabilité de l’exploitant que son établissement réponde aux normes de sécurité.

Suite au drame du Cuba Libre, la préfecture et la Ville ont réédité la plaquette d’information à destination des exploitants des EPR de catégorie 5 (cf. ci-dessous). J’ai bien conscience que la sécurité représente un coût élevé pour les exploitants et que cela ne se voit pas. Mais elle est pourtant indispensable et nous ne pouvons pas nous permettre de transiger, il en va de la vie des clients, des salariés et du voisinage.

 

# Que faudrait-il faire pour simplifier la situation ?

Le principal problème que nous rencontrons aujourd’hui est que certains établissements fonctionnent depuis des années sans être aux normes, avec parfois plusieurs changement de propriétaires… et le passage de la commission de sécurité aboutit parfois à des fermetures partielles, notamment de caves, qu’il sera difficile de rouvrir vu la complexité à réaliser des travaux.

La réglementation ne prévoit pas de niveaux de contrôle suffisants, et les moyens humains sont bien souvent insuffisants.

Une des pistes serait de rendre obligatoire un diagnostic sécurité lors des cessions (comme les diagnostics énergétiques lors des cessions de logements). Cela permettrait à l’acheteur de savoir si l’établissement est aux normes ou non, et quels travaux sont à envisager. La communication de ce rapport aux autorités compétentes pourrait permettre de cibler d’avantage les établissements à suivre plus particulièrement. J’interpellerai prochainement le nouveau gouvernement sur ces questions.

 


 

 

LE DRAME DU CUBA LIBRE

Dans la nuit du 5 août 2016, 14 personnes sont mortes et six autres ont été blessés, dans l’incendie du Cuba Libre à Rouen. Les bougies d’un gâteau d’anniversaire ont enflammé en quelques secondes la mousse noire censée insonoriser le sous-sol où se déroulait la fête. Les premières constatations laissent à penser que toutes les normes de sécurité n’ont pas été respectées dans l’établissement.

Selon la déclaration au greffe, il s’agit d’un « café, bar, débit de boissons, petite brasserie », ce qui, du point de vue de la législation des ERP, s’analyse comme un établissement de type N (restaurant et débits de boissons) de 5ème catégorie dont l’effectif maximal doit être inférieur à 200 personnes sur l’ensemble des niveaux. Il n’est pas soumis à contrôle obligatoire.

En l’occurrence, il n’y a pas eu de demande d’autorisation d’ouverture d’ERP. L’exploitation de la cave n’était pas connue et l’issue de secours, dont était pourvue la cave, était fermée…

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